Tout a donc commencé par l'effroyable exécution du comité de rédaction de Charlie Hebdo et les assassinats de Montrouge et de la Porte de Vincennes.
S'en est suivie l'extraordinaire rassemblement de plusieurs millions de personnes dans les rues et les places de France et d'ailleurs.
Cette expression populaire s'est spontanément manifestée au nom de l'idée que nous nous ferions, nous, en France, de la notion de Liberté.
Comme après tout événement exceptionnel, estimé comme "possible" mais toujours considéré comme "improbable", se pose aujourd'hui la question de "l'après".
Que nous l'ayons partagée ou non, cette longue séquence nous plonge aujourd'hui dans un certain malaise.
UNE SOMME DE QUESTIONS
En réaction à quelle pulsion soudaine, précédée d'aucune phase de réflexion, tant et tant de personnes se sont-elles associées à ces rassemblements provoquant une déferlante quasi-spontanée?
Certains analystes raccordent aujourd'hui ce mouvement de masse à de "l'angélisme".
N'a t-il pas simplement pris naissance dans un ordinaire inconscient collectif, qui conduit chacun à agir collectivement sans avoir conscience de la nature sociale de l’action?
D'autre part, les réseaux sociaux n'ont-ils pas joué un rôle déterminant dans cet affolement et cette mobilisation?
Ne sommes-nous pas désormais devant un phénomène de communication spontanée de masse, dans lequel l'outil impose à l'usager la règle du jeu hasardeuse et souvent dangereuse de l'immédiateté?
Les médias et "l'obligation" d'information permanente qu'ils ont eux-mêmes décrétée n'ont-ils pas violé depuis longtemps leur mission d'information et d'éclairement du citoyen?
Comment ont-ils pu dans leur course folle à l'audience aller jusqu'à mettre en danger la vie de certains otages?
Le scoop, le buzz, l'audimat ne sont-ils pas les nouveaux paradigmes et les nouvelles règles d'usage de nos sociétés communicantes?
RETOUR AU POINT DE DÉPART
Passé l'impact des chocs successifs, que
serons-nous en capacité de remettre en cause et surtout de modifier dans notre
société?
Depuis longtemps déjà, une masse d'indicateurs nous démontre pourtant
son état de décomposition désormais très avancé.
Une réforme profonde de la société exige du temps, de
la réflexion, de l'analyse et nécessairement du recul devant la gestion du quotidien.
L'engager, c'est ouvrir un chantier colossal.
L'ahurissante
précipitation dans laquelle nous sommes entraînés ne nous montre-t-elle pas au
contraire que nous en sommes loin, très loin?
Il est probable que passée la tempête, le calme ne
nous ramène à nos travers routiniers et à nos étroites manières de penser.
Tout doit changer, certes, dans notre société et
nous le clamons à toute occasion.
Tout doit changer...mais pas nous!
Les autres
surtout, à commencer par nos élites dont la crétinisation semble nous effarer. Comme
si ceux et celles qui composent ces élites nous étaient, tous, étrangers.
L'effet de yoyo des sondages de popularité nous étalent des résultats caricaturaux.
Le bond qualifié d'historique de 21
points pour François Hollande après cette incroyable semaine n'est-il pas un
nouvel exemple d'aliénation aboutie des esprits?
Certes, le Président de la République a traversé
les événements d'une manière satisfaisante et cela nous a honorés.
Mais devant une telle situation avait-il la
possibilité d'un autre comportement et d'un autre discours?
Il est même
probable que le Président Sarkozy, placé dans cette situation (d'ailleurs, ne
s'y voyait-il pas?) aurait été également "à la hauteur"... et peut-être même (pour certains) un peu mieux.
Qu'avons-nous entendu?
La condamnation d'un crime effroyable, la
solidarité avec la souffrance des proches des victimes, le rappel des valeurs
démocratiques fondamentales et parmi celle-ci la Liberté d'expression, l'affirmation
de l'unité de la Nation malgré les différences ...
Avec en supplément la sublimation de l'égo national
en affirmant que, par (et grâce, hélas) à ces événements la France (à la fois
cible et réaction) a montré qu'elle avait encore un grand rôle à jouer dans le
monde.
UN INACCEPTABLE PRIX A PAYER
Y avait-il donc pour le Président de "notre"
République, quel que soit l'homme qui l'ait incarné, un autre comportement, une
autre discours possible?
Il nous reste aujourd'hui une masse urgente
de questions à devoir traiter.
Nous les connaissions toutes pourtant et depuis longtemps.
Notre incapacité est devenue chronique à attendre toujours
des autres les premiers actes du changement (les rapports de voisinage en sont les révélateurs permanents).
La médiocrité répétée de nos représentants politiques se
confirme par le retour à la guéguerre des chapelles. L'aliénation interne des pensées impose à leurs membres l'impossibilité d'exprimer une autre idée que celle que doit exprimer le Parti.
La Paix et l'unité politique n'auront
décidément pas duré bien longtemps.
Il nous reste aujourd'hui une masse urgente
de questions à devoir traiter ...et nous ne nous attendions pas à devoir nous y
coller aussi brutalement.
Fallait-il donc, pour arriver à cela, que soit payé
le prix de 17 vies?
Merci Yvan pour ce billet et son contenu. Pour ma part, mes craintes se portent à plusieurs niveaux, sachant que je n'aborderai même pas la question de celles et de ceux qui sont censé-e-s nous représenter et ne représentent que la classe dominante à laquelle ils-elles appartiennent. Je suis très inquiet à l'idée de m'imaginer dont les Français-e-s de confession musulmane vont être encore un peu plus ostracisé-e-s et assimilé-e-s à des "barbaaaaaaaares" dont on ne cesse de nous rappeler que leur religion est incompatible avec la démocratie. La religion chrétienne aurait-elle été soluble dans la démocratie sans la lumière des Philosophes du XVIIIème Siècle et le processus historique de déchristianisation engagé à ce moment-là? Peu probable. J'ai travaillé et vécu dans des pays musulmans et j'ai eu ainsi le plaisir de découvrir des gens d'une ouverture d'esprit et d'une hospitalité hors du commun. J'ai partagé un épisode de ces moments-là avec Yvan et nous savons de quoi nous parlons l'un et l'autre.
RépondreSupprimerMa seconde réaction concerne la récupération de l'émotion à des fins très éloignées de ce pourquoi les gens se sont mobilisés. La liberté d'expression est un bien qui est sans cesse maltraité et malheureusement par celles et ceux là même qui, parangons de la tartufferie, devraient au contraire la porter au pinacle de leurs valeurs. Que penser des écoutes téléphoniques exercées contre les journalistes pour découvrir leurs sources? Que penser de la consultation des fadettes de ces mêmes journalistes? Que penser de Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo qui, autoproclamé chantre de la liberté d'expression au moment des caricatures racistes et injurieuses contre les musulmans en 2007, n'a pas hésité à virer de France Inter, dont il était devenu le directeur entre-temps par la grâce de son maître Nicolas Sarkozy, deux pratiquants acharnés de la liberté d'expression, Stéphane Guillon et Didier Porte? Sans oublier l'épisode Siné.
La France traverse une crise économique, financière, politique, morale très profonde qui bouleverse nos repères ainsi que les représentations que nous avons de nous mêmes et des autres. Il me semble sain pour une démocratie comme la nôtre de défendre les valeurs qui la fondent. Ils me semblent mortifères et extrêmement dangereux de chercher à refaire notre unité -démarche autant illusoire qu'impossible- sur le dos d'une partie de la population française, parfaits boucs-émissaires de nos maux, de nos travers et de nos peurs. Nous vivons un moment de profond changement mais nous ne savons pas de quel côté l'histoire va s'incliner. Pourvu que ce mouvement ne se fasse pas contre les Autres, ce qui finalement reviendrait à ce qu'il se fasse contre nous-même.
Stéphane Flandrin